Regards Croisés
KRISHTEE APADOO
Dans le cœur verdoyant de l'île Maurice, au sein des plantations de thé qui dessinent des paysages fascinants. Nous rencontrons Keshtree, une femme incroyable de détermination. Depuis plus de trois décennies, Keshtree a été témoin de l'aube et du crépuscule sur les champs de thé, façonnant l'histoire de l'île de sa force et de sa persévérance. Son histoire est tissée dans les feuilles de thé, une histoire de labeur, de résilience et de dévouement. À travers le prisme de son regard, nous découvrons le quotidien d'une femme sur l’île. Elle nous raconte ses rêves, les moments de bonheur et de tristesse, et elle adresse un message aux jeunes femmes qui auront à combattre pour l’égalité et la défense de leurs droits.
Quels étaient vos rêves lorsque vous étiez jeune, et comment ont-ils évolué au fil du temps ?
"Mon rêve a toujours été de fonder une famille et d'avoir des enfants. J’ai commencé à travailler à l’âge de 14 ans, aux côtés de ma mère, nous cueillions les feuilles de thé. Il n’y avait pas de télé, ni de téléphone à cette époque. Nous étions heureux de vivre en famille et de partager les moments les plus simples, comme un bon repas ou une sortie à la plage. Notre vie était également égayée par les nombreuses fêtes religieuses que nous préparions dans le bonheur le plus total."
Quelles ont été les épreuves les plus difficiles que vous avez traversées, et quelles réalisations vous rendent particulièrement fière aujourd'hui ?
"Le travail dans la plantation était particulièrement difficile. Nous passions des heures sous le soleil à nous abîmer les mains. À cette époque, nos tenues de travail étaient rudimentaires. Nous étions une communauté de femmes et nous nous serrions les coudes. Le moment le plus difficile a été la mort de mon fils ; aujourd’hui, j’y pense encore.
La vie n’a pas toujours été facile, mais je suis fière d'avoir pu envoyer mes enfants à l'école, et même à l'université. Ma fille vit au Canada ; elle est ingénieure. Elle s’est mariée et a eu une petite fille."
Pouvez-vous partager l'un de vos plus grands moments de bonheur, un instant qui a laissé une empreinte indélébile dans votre vie ?
"Bien sûr, il y a eu mon mariage. Jeune fille, nous n’attendions que ça. Les préparatifs avec ma mère et mes sœurs, puis la cérémonie, quatre jours où j’étais la reine. Je me sentais tellement belle.
Et puis, la naissance de mes enfants. Mon premier accouchement a été difficile, mais quelle joie de retrouver mon bébé quelques heures après. J’ai savouré chaque moment. Ma mère m’a été d’une grande aide car j’étais un peu maladroite. Je ne regrette pas d’avoir été mère jeune, car j’ai toujours gardé une proximité avec mes enfants."
De votre point de vue, comment la société mauricienne a-t-elle changé au cours des dernières décennies en termes d'opportunités pour les femmes ?
"Nous avons investi beaucoup de notre vie dans l’éducation de nos enfants. Mes filles ont pu faire des études supérieures, ce qui était impossible à mon époque. L’opportunité d’étudier est primordiale pour les femmes afin de s’assurer une place dans la société. Aujourd’hui, je peux voir des femmes directrices, ingénieures, et même dans la politique. Cela me rend fière de mon pays. Mais n’oublions pas que certaines femmes vivent encore sous le joug d’hommes peu scrupuleux, qui les maintiennent dans des vies sans lumières. Je pense à elles et demande que chaque femme mauricienne puisse vivre selon ses propres choix."
Quelles sont les forces que vous avez développées au fil des années, et comment la résilience a-t-elle joué un rôle dans votre parcours ?
"J’étais jeune, nous ne nous posions pas tant de questions. Il fallait travailler pour faire vivre la famille. Les valeurs de ma communauté étaient fortes, et il était difficile de sortir du cadre. Nous ne nous plaignions pas.
La bienveillance m’a été enseignée très tôt, et cette valeur a guidé ma vie. Je l’ai transmise à mes enfants et au sein de ma communauté. En tant que femme, la résilience est une obligation, un devoir. Chaque matin, nous pensons aux autres. Nous sommes les gardiennes de la famille. Les moments que nous consacrons à nous seules sont rares."
Quels sont les apprentissages les plus importants que vous avez tirés de la vie, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes générations ?
"Un mari ne suffit pas, chaque femme doit pouvoir être indépendante et libre de ses choix. Dans le respect des autres, bien sûr. J’ai appris que la gentillesse est toujours récompensée, et que la solidarité nous permettait de nous protéger et d’aller plus loin ensemble.
Mon conseil aux jeunes femmes serait de croire en leurs rêves, de ne jamais reculer devant un obstacle, de ne jamais se sentir inférieure à quiconque. Je leur dirais également de se protéger de certains stéréotypes actuels, propagés à la télé et ailleurs, où la beauté tient une place trop importante. Et surtout, soyez vous-même."